Le journal

Le goût du Grand air

Sébastien Ripari

LA MAISON BLEUE - YOANN CONTE - VEYRIER-DU-LAC - FRANCE 

 

Dans le train qui m’amène vers Annecy sous une pluie battante de ces premiers jours de mai, je laisse mon imagination aller librement à des rêveries gourmandes qui me parlent déjà de « Féra du lac Léman », de « carotte dans tous ses états », du puissant « céleri perpétuel » que l’on nomme là-bas « Livèche » avec l’accent chantant du paysan autochtone. Chaque mètre un peu chaotique de ce voyage à grande vitesse, le regard rivé à la vitre humide du train me rapproche de ma destination, l’Hôtel La Maison Bleue et la table doublement étoilée du chef breton-savoyard Yoann Conte. 

 

L’accueil, le premier pas vers une expérience réussie 

 

Comme un signe positif, mon arrivée à La Maison bleue se fait sous un soleil caniculaire. Puissamment ancré face aux montagnes avec les pieds dans l’eau claire du lac d’Annecy, l’hôtel est d’un luxe reposant. Un de ces lieux magiques où l’aristocratie et les stars hollywoodiennes venaient au début du XXe siècle faire une pause, se mettre en villégiature. D’une modernité subtile dans un confort absolu et sous la bienveillance des équipes, ce havre de paix au charme boisé m’offre une parenthèse enchantée dont je rêvais. La chambre s’ouvre sur de larges fenêtres qui reflètent les eaux claires et changeantes du lac comme les vitraux des églises. On ressent une sensation de chalet rustique dans les boiseries qui ornent les murs et le plafond de la chambre, un peu de ces refuges de haute montagne. Juste le temps de se poser un peu…

Le restaurant n’a que peu changé. Cette volonté affichée d’immersion profonde dans la chaleur des Fruitières d’un passé, celui du temps où l’on prenait encore le temps, le temps de goûter, celui de se parler, le temps de cuisiner et qui vous apporte cette légère impression agréable de « rentrer chez soi ». Le chef est là, barbu grisonnant, veste blanche impeccable, debout, énergique, posé et volontaire. Les retrouvailles se font, humaines, heureuses, honnêtes. La table est « mise » comme on disait alors, faite de bois, sans nappe pour respecter la planète, ornée à son extrémité d’une sculpture alpine, quelques montagnes décorées de petits personnages. Et là, en un geste codifié, tel le pèlerin japonais qui se rend au Temizuya se purifier avant de se présenter face aux divinités de son temple shinto, le chef vous demande de vous laver les mains. Cette rupture hautement symbolique et bien réelle efface immédiatement toutes les petites contrariétés que vous auriez pu apporter avec vous à table. Maintenant, purifié, calme et serein, vous allez pouvoir entrer avec tous vos sens en éveil dans l’Expérience proposée.

 

L’accord demande de l’attention

 

Ce n’est jamais simple d’expliquer son ressenti sur une expérience gastronomique. On y vient avec ses souvenirs, ses comparaisons, son savoir, ses goûts, simplement. Chaque expérience est une histoire, dans celle-ci par exemple, le chef Yoann Conte prend un produit (du caviar) et pose devant vous 3 verres de vins (Sancerre, Côtes du Roussillon & Côtes de Duras). Comme une partition de musique, vous allez monter en gamme progressivement. Le caviar salé sur le premier verre devient plus marqué poisson sur le second et explose en une multitude de saveurs rondes et rassurantes sur le troisième. Aléa Jacta est. Vous êtes conquis. Cette particularité, cette singularité des accords je vais la retrouver tout au long de ce repas extraordinaire. Féra mimétique, Basta sur un IGP Allobroges, Le dilemme de Yoann sur un saké « L’Aube », L’artichaut aux senteurs de Nice et Savoie sur un Savennières et un Assyrtiko de Santorin, L’aile ou la cuisse ? Chair de poule sur un vin jaune d’Arbois en terminant sur une Tarragone 1963-1965... 

Telle une ode à la sublimation du produit presque brut, chaque plat assure et vous rassure dans ce voyage sur la route de l’histoire du chef entre sa Bretagne natale et sa Savoie d’adoption. Le détail est toujours juste et réfléchi, pas d’ostentation, juste la perfection de la « parfaite simplicité ». Le repas est unique, extraordinairement maîtrisé et Yoann Conte se pose et s’impose comme un très grand Chef inspiré, incontournable au destin étoilé, qu’il faut au moins dans sa vie avoir l’honneur de rencontrer. 

 

Article disponible dans CREAC #4

 

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On the train to Annecy in the pouring rain of early May, I let my imagination run wild with gourmet reveries that already speak to me of “Lake Geneva fera”, “carrot in all its forms”, the powerful “perennial celery” that they call “Lovage” there, in the lilting accent of the local country folk. Every chaotic yard of this high-speed journey, my gaze riveted to the train’s damp window, brings me closer to my destination, Hôtel La Maison Bleue and the two-star restaurant of Breton-Savoyard chef Yoann Conte. 

 

Reception, the first step towards a successful experience

 

It augurs well that I arrive at La Maison Bleue in the scorching sunshine. Powerfully anchored against the mountains, with its feet in the clear waters of Lake Annecy, the hotel is a restful oasis of luxury. One of those magical places where the aristocracy and Hollywood stars used to come at the beginning of the 20th century, to take a break and enjoy a holiday. With its subtle modernity, absolute comfort and friendly staff, this haven of peace with its wooded charm offers me the enchanted break I’ve been dreaming of. The room opens onto large windows that reflect the lake's clear, ever-changing waters like the stained-glass windows in a church. There's a rustic chalet feel to the woodwork that decorates the walls and ceiling of the room, rather like a mountain hut. There is just time to relax for a while... 

The restaurant has changed little. This wish to immerse yourself in the warmth of the cheese dairies of the past, a time when people still took the time to taste, to talk, to cook, gives you that rather pleasant feeling of “coming home”. The chef is there, with a graying beard and in impeccable whites, upright, energetic, poised and determined. The reunion is human, happy and honest. The table is “set” as we used to say in those days, made of wood, without a tablecloth out of respect for the planet, and featuring an Alpine sculpture at one end, a few mountains decorated with small figures. And then, in a ritual gesture, like the Japanese pilgrim who goes to the temizu-ya to purify himself before appearing before the deities of his Shinto temple, the chef asks you to wash your hands. This highly symbolic and very real interruption immediately wipes out all the little quibbles you might have brought with you to the table. Now, purified, calm and serene, you can enjoy the experience with all your senses alert.

 

Pairings that demand attention

 

It’s never easy to explain how you feel about a gastronomic experience. You come with your memories, your comparisons, your knowledge, quite simply your taste. Each experience is a story. In this one, for example, chef Yoann Conte takes a product (caviar) and sets 3 glasses of wine in front of you (Sancerre, Côtes du Roussillon & Côtes de Duras). Like on a sheet of music, you gradually move up the scale. The caviar that is salty with the first glass becomes more fishy with the second and explodes into a multitude of round, reassuring flavors with the third. The die is cast. You are won over. This particularity, this uniqueness of pairings, is something I will find throughout this extraordinary meal. Mimetic fera, Basta with an Allobroges PGI, Yoann’s dilemma with saké “L’Aube”, Artichoke with scents of Nice and Savoie with a Savennières, and with an Assyrtiko from Santorini, The wing or the leg? Gooseflesh with a Vin Jaune d'Arbois, and finishing with a Tarragona 1963-1965...

Like an ode to the enhancement of an almost unrefined product, each dish is sure to reassure you as you follow the chef’s journey between his native Brittany and his adopted Savoie. The detail is always just right and considered, no ostentation, just the perfection of “total simplicity”. The meal is unique, extraordinarily masterful, and Yoann Conte has established himself as a great and inspired chef with a star-studded future, someone you must have the honor of meeting at least once in your life.

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