Le journal

L'essence de Watanabe

Yuchiro Watanabe

“Le caviar est un produit exceptionnel, d’un point de vue sensoriel mais aussi mémoriel.”

Comment vous est venu l’envie de cuisiner ? 

 

Petit, la cuisine était partout autour de moi. Ma mère adorait cuisiner. Elle avait son propre style et ne se limitait pas à la cuisine japonaise. Elle nous préparait des gyozas (chinois), de la poitrine de porc fumé / sucré ou son gratin de macaroni que je reproduis aujourd’hui. Elle m’a beaucoup inspiré. Et quand ce n’était pas elle, ce sont les émissions de cuisine que je regardais. À 20 ans je suis parti en France où j’ai intégré l’Ecole hôtelière Tsuji Château de l'Éclair. Avec mes amis, nous nous rendions régulièrement dans les Grandes Tables pour parfaire notre formation. Pas de menu, chacun commandait différents plats à la carte. Une vraie débandade en cuisine. Imaginez, nous étions six ! Mais cela, nous ne le savions pas encore, nous étions étudiants et chaque expérience était euphorique. Je garde d’ailleurs un précieux souvenir d’un déjeuner chez Jamin en particulier. C’est là que j’ai goûté la fameuse gelée de caviar à la crème de chou-fleur de Joël Robuchon pour la première fois. J’ai été littéralement choqué et très émotionné par les saveurs mais aussi la balance des goûts et l’équilibre de cette recette. C’est à ce moment-là que ce fut une évidence, que je voulais être cuisinier, que je devais être cuisinier.  

 

Quel(s) cuisinier(s) vous inspirent ? 

 

Paul Bocuse, Gérard Antonin, – mon « père » français –, son fils Philippe Antonin, et Joël Robuchon. Ce sont eux qui m’ont appris les bases de la cuisine (française). Il s’agit d’une cuisine très exigeante. Quand j’étais chef exécutif de Taillevent Robuchon Café Français à Tokyo, je maigrissais à chaque visite de Joël Robuchon… Mais c’est également une cuisine subtile et généreuse, aussi bien dans l’assiette qu’humainement.  

 

Quelle est votre vision de la gastronomie ? 

 

Cette effervescence, ces émotions, c’est ce que je veux partager avec mes clients, un moment riche de convivialité et de surprises. Toujours des surprises, de découvertes et (petits) plaisirs. Je pense que c’est d’ailleurs l’essence de la cuisine française et certainement la raison pour laquelle je suis fasciné par la cuisine française.  

 

Existe-t-il un goût franco-japonais ? 

 

Le goût, et la mémoire du goût, sont personnels ; aussi étroitement liés à ce que l’on a pu goûter et vivre, donc liés aux cultures et voyages. Je pense qu’il n’existe pas un goût. Dans mon restaurant, j’accueille autant de clients locaux que de touristes occidentaux et je ne pense pas avoir besoin d’adapter les plats en fonction de la clientèle. L’expérience est inter-culturelle. Je propose une cuisine française aux touches japonaises, une fusion des techniques et ingrédients.  

 

Comment choisissez-vous vos produits ? 

 

J’utilise des produits locaux sauf pour les spécialités régionales comme le beurre (du beurre, encore du beurre, toujours du beurre !), le foie gras ou le caviar qui viennent de France. Je les choisis en fonction de leur disponibilité, de leur goût mais aussi du savoir-faire. C’est important de savoir où et comment un produit a été élevé / produit. Et quand je ne peux pas me déplacer, je vais sur ‘Map’ pour voir à quoi ressemble la terre, je cherche des vidéos et j’imagine le producteur en train de travailler.  

 

Pourquoi le caviar français ? 

 

J’ai goûté le caviar français pour la première fois en 2000. Ce n’était alors que la renaissance du caviar français et le début du caviar d’élevage (le caviar sauvage était encore de mise) mais, déjà à l’époque, je l’ai trouvé bon. Quand j’ai ouvert mon restaurant Nabeno-Ism, en 2016, j’en ai goûté quelques-uns : des caviars d’origines différentes, de négociant et d’éleveur-producteur. J’ai simplement choisi celui qui me correspondait le mieux en termes de goût, de qualité produit – constante ! c’est important – et de qualité d’élevage ; et j’ai choisi un caviar de producteur, français. Nous, japonais, accordons une grande attention à la qualité de l’eau (tofu, riz, saké, etc) et les français sont également très consciencieux et respectueux sur ces sujets. Cela influence vraiment le goût du caviar. Et le résultat est que le caviar français est très bon. Il n’est pas monotone, on trouve des notes noisettées, très élégantes, mais aussi des arômes iodés subtils qui me font penser aux algues Nori. Que de possibilités !  

 

Le caviar, c’est facile ? 

 

Disons plutôt qu’il faut rester « simple » et limiter le nombre d’ingrédients pour vraiment mettre en avant le caviar. On parle d’un produit parfaitement complet, qui peut donc exister seul. Lors de ma première fois (au Jamin), j’ai senti dès la première bouchée qu’il s’agissait d’un produit très « riche », à la fois très équilibré et complexe. Et le mariage des ingrédients était fantastique. Cette expérience a été un véritable marqueur / influenceur. C’est un produit exceptionnel ; d’un point de vue sensoriel mais aussi mémoriel.  

 

TRADITIONNEL 

Farine de sarrasin émulsionnée avec du beurre fermenté, langue d'oursin et caviar français (Sturia), crème de Vodka et wasabi frais râpé. Le traditionnel « blini, crème fraîche, caviar et vodka » revisité à la japonaise.

 

Article disponible dans le CREAC #2

 

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How did you get the urge to cook? 

 

 

 

 

 

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