Le journal

La simple harmonie

Julien Dumas

« J’aime jouer, avec les choses, avec la nourriture, avec la nature. Jouer, dans le bon sens du terme. »

Qu’est-ce qui vous a emmené à la cuisine ? 

J’ai perdu ma mère assez jeune et mon père était peu à la maison. Nous avions donc une nounou. Elle voulait me faire plaisir en me donnant à manger et ça a été l’un des éléments déclencheurs de mon lien avec la cuisine. Mon père m’a également raconté beaucoup d’anecdotes avec ma mère avec qui je passais visiblement mon temps dans la cuisine. Ma marraine aussi, elle avait un hôtel restaurant à Carnac. Je m’en remémore surtout les odeurs : des soupes de poisson, de beurre cuit quand on mettait du beurre noir sur les raies. Et j’ai beaucoup voyagé avec mon père. Je ne me souviens pas des lieux, uniquement de la nourriture. Des câpres fraîches, des flammekueches. Je me rappelle aller en Auvergne d’où mon père est originaire. Y manger des pâtés aux pommes de terre et des salades auvergnates. 

 

Quel a été votre parcours ? 

Dès que j’ai intégré l’école hôtelière de Grenoble, je savais que j’étais là pour la cuisine. J’ai fait mon premier stage dans un restaurant gastronomique, à La Pyramide à Vienne. J’y ai découvert un endroit incroyable. C’est un restaurant deux étoiles Michelin, très humain, attentionné et bienveillant avec les collaborateurs. Je me suis dit : c’est là que je veux aller ! 

 

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous inspire quand vous créez vos plats ? 

C’est vraiment instinctif. Je prends ce que la nature nous offre à un moment donné. Par exemple, nous sommes en train de travailler sur une recette d’asperges blanches. Je suis allé faire de la cueillette juste à côté et j’y ai vu de la moutarde et des abeilles qui butinaient. J’ai alors fait une combinaison entre l’asperge blanche, le pollen et des fleurs comme le sureau. 

 

Justement, en parlant de produits. Quelle est votre relation avec les producteurs ? 

J’aime ce qu’ils font, j’aime ce qu’ils représentent, j’aime leur rapport à la nature. J’aime qu’ils respectent les choses et qu’ils me disent « Aujourd’hui les fleurs d’ail des ours, je ne peux pas t’en livrer, elles font des boutons et j’en ai besoin pour l’année prochaine ». Tout ça, c’est le respect d’un écosystème. D’ailleurs au Saint-James, c’est tout un écosystème que l’on a créé ensemble. 

 

C’est important pour vous cette notion d’écosystème ? 

Récemment, nous avons reçu 3 macarons Écotable. Quand on dit RSE, c’est vraiment ce qui m’anime : à la fois l’écologie et le social. Hier, j’ai invité un ami à dîner et il m’a dit que c’était la première fois qu’il voyait une aussi bonne ambiance dans les cuisines, qu’il sentait les gens aussi heureux de travailler. Pour moi, l’objectif, c’est que tout le monde vive et cohabite ensemble. Évidemment, il y a des départs : c’est comme une famille le jour où les enfants grandissent, ils s’en vont et il peut y avoir un divorce... Mais il faut respecter les gens avec qui l’on travaille. 

 

Parlons peu, parlons caviar. Est-ce un produit  que vous affectionnez particulièrement ?

C’est un produit que j’aime beaucoup. Il y a pour moi des caviars à déguster, qui sont très délicats, très particuliers, comme l’Osciètre ou le Beluga. Et il y a des caviars qui s’associent avec la cuisine : ceux qui ont une spécificité et une aromatique un peu particu-lière. Le Baerii par exemple, est un caviar qui a des expressions différentes. C’est celui qui me parle le plus, avec lequel je travaille depuis le début. Je trouve le grain du Primeur très intéressant, il est encore assez ferme et il a une sorte de parfum légèrement floral. Il a aussi du caractère : quand on le met face à l’encornet, il apporte de l’équilibre. Tout ce qui sort de l’océan fonctionne forcément avec le caviar. Avec des huîtres spéciales par exemple. Ormeau et caviar aussi. Sur le végétal, je l’ai fait avec du chou-fleur. Je l’ai essayé à toutes les sauces, même en dessert. Avec du chocolat ou autour de la vanille. Parce que pour moi, le caviar représente la mer, je n’y mets pas de barrière.

 

Comment voyez-vous la suite ?

J’ai tellement d’idées… J’aimerais par exemple que pour chaque plat, on puisse utiliser chaque déchet organique. Donner vrai-ment un sens à tout ce que l’on fait. Je voudrais aussi que l’on soit zéro plastique. J’aimerais également essayer de faire comprendre aux personnes qui viennent manger ici qu’il y a une vraie his-toire derrière ce que l’on fait. Leur faire comprendre que les fraises en décembre ce n’est pas possible. Aujourd’hui, je veux pouvoir m’exprimer pleinement et le Saint James m’a apporté un souffle de nature et une liberté d’expression dont j’avais besoin.

 

Votre univers en trois mots ?

C’est un univers d’enfant. J’aime jouer, avec les choses, avec la nourriture, avec la nature. Jouer, dans le bon sens du terme. Avoir cette sensation comme lorsque j’étais enfant d’une liberté incon-ditionnelle. Pouvoir gravir des montagnes, pouvoir mettre du rouge sur mes dessins alors qu’on m’avait dit de mettre du vert. Continuer à m’amuser comme ça, le plus longtemps possible.

 

MAQUEREAU, CAVIAR  ET COQUES I Fumé de Maquereau lié aux coques avec du fromage blanc et une huile de persil.

 

Article disponible dans CREAC #4

 

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What led you to a career in cooking?

I lost my mother quite young and my father was rarely at home. So we had a nanny. She wanted to please me by giving me food and that was one of the triggers for my bond with cooking. My father also told me many anecdotes about my mother with whom I obviously spent my time in the kitchen. My godmother, too, had a hotel-restau-rant in Carnac. I especially remember the smells: fish soups, cooked butter at the time when black butter was put on skate. And I traveled a lot with my father. I don’t remember the places, just the food. The fresh capers, the tarte flambée. I remem-ber going to the Auvergne, where my father is from. There I ate potato pâté and Auvergne salads. 

 

What was your career path?

As soon as I entered hotel school in Grenoble, I knew that I was there for the cooking. I did my first internship in a gastronomic restaurant, La Pyramide in Vienne, France. I discovered an incredible place there. It is a restaurant with two Michelin stars, very human, kind to its employees and attentive to their needs. I thought to myself: this is where I want to go! 

 

What inspires you now   when you create your dishes?

It’s really instinctive. I take what nature has to offer at any given time. For example, we are currently working on a white asparagus recipe. I went to pick it next door and saw mustard and bees fora-ging there. So I made a combination of white aspa-ragus, pollen and flowers like elderberry. 

 

While we are speaking of products, what is your relationship  with your suppliers?

I like what they do, I like what they represent, I like their relationship with nature. I like that they res-pect things and tell me “I can’t deliver wild garlic flowers today, they’re budding and I need them for next year”. All that shows respect for an ecosystem. And at the Saint-James, it is an entire ecosystem that we have created together.

 

Is this concept of ecosystem important to you? 

We were recently awarded 3 macarons by Écotable. When we talk about CSR, that’s really what drives me: both ecological and social. Yesterday, I invited a friend to dinner and he told me that it was the first time he had seen such a good atmosphere in the kitchens, that he felt people were so happy to be at work. For me, the goal is for everyone to live and to live together. Of course, people leave: it’s like a family when the children grow up and leave, and there may be a divorce... But you have to respect the people you work with.

 

Let’s talk about caviar now.  Is it a product that you particularly like?

It is a product that I really like. For me, there are caviars to taste, which are very delicate, very special, such as Oscietra or Beluga. And there are caviars that go well in cooking: those with a specific charac-ter and a rather special aroma. Baerii, for example, is a caviar that can have different expressions. This is the one that speaks to me the most, that I have worked with from the start. I find the grain of the Primeur very interesting, it is still quite firm and it has a sort of slightly floral scent. It also has charac-ter: when you serve it with squid, it brings balance. Anything that comes out of the ocean is sure to work with caviar. With special oysters, for example. Abalone and caviar, too. Regarding vegetables, I have combined it with cauliflower. I have tried it with all the sauces, even for desserts. With chocolate or combined with vanilla. Because for me, caviar represents the sea, I don’t put up any barriers to it.

 

How do you see the future?

I have so many ideas… For example, I would like to be able to use all the organic waste in each dish. To really give meaning to everything we do. I would also like us to be zero plastic. And I’d also like to try to make people who come to eat here unders-tand that there is a real story behind what we do. Make them understand that eating strawberries in December is just not possible. Today, I want to be able to express myself fully and the Saint James has given me the breath of nature and the freedom of expression that I needed.

 

Your world in three words?

It is a child’s world. I like to play, with things, with food, with nature. Play, in the good sense of the word. Having this feeling of unconditional free-dom, like when I was a child. To be able to climb mountains, to be able to put red on my drawings when I was told to put green. To keep having fun like this, for as long as possible. 

 

MACKEREL, CAVIAR  AND COCKLES I Mackerel stock with cockles, fromage blanc and parsley oil.

 

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