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Le caviar « no-kill » est-il éthique ?

Décryptage

Le caviar "no-kill" est une méthode controversée visant à produire du caviar sans sacrifier les esturgeons.

Publié le 23 août 2016

 

Le caviar "no-kill" est une méthode controversée visant à produire du caviar sans sacrifier les esturgeons. Cependant, elle implique l'injection d'hormones, des interventions chirurgicales sur les femelles pour extraire les œufs, ainsi que des traitements chimiques qui peuvent altérer la qualité du caviar. Certains remettent en question l'éthique de cette méthode, la considérant davantage économique que réellement respectueuse des animaux. Le débat persiste quant à savoir si le caviar "no-kill" peut être véritablement qualifié d'éthique. 

 

Le caviar, comme on le connaît communément, est issu d’œufs d’esturgeon non-ovulé, non-fécondés. Le poisson est sacrifié. Les œufs sont ensuite extraits du ventre de la femelle puis tamisés, rincés, salés et mis en boîte (1) ; méthode ancestrale utilisée sur les rives de la mer Caspienne…
Aujourd’hui pourtant, certains parlent de « no-kill » avec l’intention d’élaborer un caviar « éthique » sans sacrifier l’animal. L’intention est belle mais ces pratiques sont-elles vraiment vertueuses ?
 

NO-KILL, CAVIAR "ÉTHIQUE", FAUT-IL Y CROIRE ?

Le caviar, comme on le connaît communément, est issu d’œufs d’esturgeon non-ovulés, non-fécondés. Or quand on parle de « no-kill », il s’agit en réalité de caviar ovulé.


Lexique :

* Œufs ovulés / ovulation : expulsion des œufs (descente des œufs – ponte).
* Œufs fécondés / fécondation : une fois les œufs expulsés dans le milieu extérieur, le mâle répand sa semence. C’est alors que le sperme pénètre l’œuf et qu’il y a fécondation…


L’INJECTION D'HORMONES

Cette méthode consiste en effet à administrer des hormones au poisson afin de provoquer l’ovulation et déclencher la descente des œufs.
Pourquoi ? Parce que les conditions pour qu’une femelle libère ses œufs de manière naturelle doivent être optimales, notamment la qualité de l’environnement et de l’eau (synergie oxygène – courant – température de l’eau – nourriture) et requièrent la présence de mâle(s) à proximité. Il ne peut donc y avoir de phénomène de ponte naturelle en élevage car ces conditions très particulières ne s’y retrouvent pas.

 

L’injection d’hormones est nécessaire pour la production d’œufs ovulés en quantité. C’est une technique largement répandue dans les écloseries et fermes piscicoles pour la reproduction assistée. Et j’insiste : pour la reproduction !

 

Les produits utilisés sont en effet des produits légaux dans un objectif de reproduction. Il s’agit d’hormones de synthèse, d’hypophyses de carpes ou d’esturgeons. En Europe, l’injection d’hormones est illégale moins de 500°/J avant la production du caviar, soit environ 1 mois. Un degré-jour désigne une unité de valeur permettant de déterminer le temps d’élimination nécessaire des produits dans le système du poisson en fonction de la température de l’eau… Or, pour une production d’œufs ovulés, les hormones sont injectées 2 jours seulement avant la récolte et la production du caviar.

 Philippe Benoit, directeur de production piscicole Sturgeon – Caviar Sturia

 

L’injection d’hormones provoque donc l’ovulation et la descente des œufs.
1 à 3 jours plus tard, les femelles esturgeons devront être anesthésiées pour subir une intervention chirurgicale : les œufs sont extraits par césarienne (incision dans la cavité abdominale basse du poisson) * en exerçant une pression vers le bas pour expulser les œufs.
* le massage seul étant rarement utilisé car peu efficace.

Les femelles devront ensuite être recousues et traitées aux antibiotiques (puisqu’il y a eu intervention chirurgicale).


DES TRAITEMENTS CHIMIQUES

Les ovocytes récoltés (ovulés) sont alors fragiles et collants. En effet, lors de l’ovulation, l’esturgeon sécrète une sorte de colle autour des œufs pour que, quand elle expulse ses œufs dans le milieu naturel, ces derniers se collent aux graviers (et ne soient pas emportés par les courants) afin d’être ensemencés par le mâle.

 

Pour obtenir une membrane moins collante et plus ferme, ces œufs devront donc être nettoyés dans des bains chimiques, voire subir des traitements thermiques pour leur redonner de la texture / fermeté. Deux procédés qui détériorent les qualités gustatives du caviar pour un résultat médiocre : un caviar insipide et caoutchouteux, qui ne fond pas en bouche ; rien à voir avec les qualités organoleptiques exceptionnelles du « vrai » caviar qui ont participé à la renommé de ce produit d’exception.

 

Aussi, cette méthode ne pourra être réutilisée que 2/4 fois maximum en raison de la procédure chirurgicale lourde, et ce tous les 2/3 ans (cycle naturel de l’esturgeon arrivé à maturité).

 

CAVIAR "ÉTHIQUE" ? UN ABUS DE LANGAGE ! 

‘ Ce caviar « éthique » est un abus de langage ! Cette méthode ne prévient pas de l’abattage ni de la cruauté (dans la mesure où les poissons subissent de lourdes interventions). Multiplication des manipulations, chirurgies, stress, usage d’hormones, dd’antibiotiques, de produits chimiques, voire de traitements thermiques… L’objectif du no-kill n’est certainement pas « éthique » mais économique : il est en effet moins coûteux de produire du caviar tous les 2/3 ans plutôt que d’attendre 7 ans que chaque poisson arrive à maturité. ‘ 

Philippe Benoit, directeur de production piscicole Sturgeon – Caviar Sturia

 

Bien conscients de ces enjeux, nous travaillons chaque jour au bien-être de nos poissons. Mais il est évident que le sacrifice (méthode traditionnelle ancestrale) est le seul moyen d’obtenir un caviar de qualité naturelle. Un choix que l’on retrouve d’ailleurs dans le cahier des charges de l’association Caviar d’Aquitaine (la méthode no-kill n’est pas autorisée).


Aussi, nous n’exerçons aucune pression sur la masse sauvage dans la mesure où nous sommes présents tout au long de la chaine (de l’œuf à l’œuf) et renouvelons donc toutes nos générations dans notre écloserie. Enfin, l’esturgeon n’est pas seulement du caviar et nous offrons, à ce titre, une seconde vie. Nous travaillons en effet à la valorisation des produits et co-produits de nos poissons. Nos efforts et travaux de recherches nous ont ainsi permis de s’adapter et de s’inscrire dans un nouveau modèle économique appliquant notamment l’utilisation quasi-totale de nos poissons : de la chair à la peau (pour le cuir), l’isinglass (colle naturelle utilisée pour restaurer les œuvres d’art et instruments de musique)…

Laurent Dulau, Directeur Général du Groupe Kaviar – Caviar Sturia
Et Président de l’Association Caviar d’Aquitaine (ACA)

 

À (re)lire également :

(3) Caviar d’Aquitaine, renaissance d’un mythe
(2) CITES : L’esturgeon, une espèce protégée
(1) Les secrets de fabrication du caviar


À lire également, pour aller plus loin :

Aquaculture respectueuse de l’environnement
Une seconde vie pour nos esturgeons

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